88 milliards de dollars disparaissent chaque année du continent africain, engloutis par les flux financiers illicites (FFI). C'est ce que révèle un rapport publié par l'Union Africaine fin juillet 2025, intitulé "Successes and Challengesof Implementing the Recommendations of African Union High Level Panel on Illicit Financial Flows".
Une actualité qui possède des liens évidents avec l'affaire Bolloré, dans laquelle notre Collectif Restitution Afrique (RAF) lutte de toutes ses forces depuis mars 2025.
Une saignée qui freine le développement du continent
L'Afrique subit une hémorragie financière silencieuse mais massive. Chaque année, 88 milliards de dollars quittent le continent sous forme de flux financiers illicites (FFI), soit l'équivalent de 3,7% du PIB africain. Ces chiffres alarmants, révélés par les derniers rapports de l'Union africaine et de la CNUCED, témoignent d'une réalité dramatique : l'Afrique se vide de ses ressources vitales au détriment de son développement.
Et cette situation s'est considérablement aggravée depuis le rapport Mbeki ! En 2015, le rapport du Panel de haut niveau de l'Union africaine sur les flux financiers illicites - communément appelé le rapport Mbeki - estimait ces pertes à 50 milliards de dollars annuels. Aujourd'hui, selon les données récentes de la CNUCED, ce montant a bondi à 88 milliards de dollars, une augmentation de plus de 75% en moins d'une décennie.
Cette progression alarmante illustre l'échec des mesures de lutte contre ces pratiques illicites, malgré les recommandations du rapport de 2015. Les activités commerciales représentent 65% à 70% de ces pertes, principalement à travers des pratiques de manipulation des prix, d'évasion fiscale et de transferts frauduleux.
Les multiples visages des flux financiers illicites
Les flux financiers illicites (FFI) prennent diverses formes, qui drainent systématiquement les ressources africaines :
1. Les pratiques commerciales illicites, qui représentent environ 70% des FFI
- Manipulation des prix de transfert dans les chaînes de valeur mondiales
- Sous-facturation ou surfacturation des exportations et importations
- Évasion fiscale sophistiquée par les multinationales
2. La corruption institutionnelle
- Détournement de fonds publics
-Pots-de-vin dans l'attribution de marchés publics
- Enrichissement personnel des élites politiques
3. Les activités criminelles
- Blanchiment d'argent
- Trafic de ressources naturelles
- Financement du terrorisme
Le rapport de l'Union africaine a établi enfin une corrélation claire entre la dépendance aux industries extractives et l'incidence des FFI. Les pays riches en ressources naturelles - pétrole, or, diamants, coltan - sont particulièrement vulnérables à ces pratiques illicites. Cette vulnérabilité s'explique par plusieurs facteurs : complexité des chaînes de valeur internationales facilite la manipulation des prix ; opacité des contrats d'extraction permet les arrangements frauduleux ; faible capacité de contrôle des États africains face aux multinationales.
L'affaire Bolloré : symptôme d'un système prédateur
L'actualité judiciaire récente illustre parfaitement ces mécanismes prédateurs.
En mars 2025, le Collectif Restitution Afrique (RAF) a porté plainte contre Vincent Bolloré, son fils Cyrille et leur groupe pour corruption, recel et blanchiment d'actifs.
Cette plainte met en lumière un système d'accaparement des infrastructures africaines particulièrement révélateur :
1. Un empire bâti sur la corruption présumée
Les concessions regroupées au sein de Bolloré Africa Logistics constituent "une part substantielle de la valeur d'entreprise de cette filiale, laquelle a été cédée en 2022 pour un montant de 5,7 milliards d'euros" à l'armateur italo-suisse MSC. Cette valorisation colossale repose largement sur des actifs africains stratégiques - ports, infrastructures logistiques, réseaux de transport - obtenus par des moyens que nous considérons comme frauduleux, avec la complicité des pouvoirs en place dans les différents pays concernés (Côte d'Ivoire, Guinée, Ghana, Togo, Cameroun).
2. Un modèle d'accaparement systémique
L'autre volet de la plainte porte sur le supposé "blanchiment" des profits issus des concessions obtenues de manière présumée frauduleuse dans cinq pays africains. Cette accusation révèle un modèle économique où la corruption initiale génère des profits qui sont ensuite "blanchis" à travers des structures légales complexes.
Les conséquences dramatiques pour l'Afrique
Cette perte annuelle de 88 milliards de dollars pénalise particulièrement les secteurs fragiles souvent en manque de politiques publiques financées, comme l'éducation, la santé ou le développement industriel.
Pour mettre ces chiffres en perspective :
- 88 milliards de dollars représentent plus que l'aide publique au développement reçue par l'ensemble du continent
- cette somme pourrait financer la construction de milliers d'hôpitaux, d'écoles et d'infrastructures
- elle équivaut aux besoins annuels estimés pour atteindre plusieurs Objectifs de développement durable en Afrique
Cela entraîne un cercle vicieux de sous-développement
- les flux financiers illicites (FFI) privent les États de ressources fiscales essentielles
- cette pénurie budgétaire limite les investissements publics
- le manque d'infrastructures et de services publics freine la croissance
- la faible croissance perpetue la dépendance aux ressources naturelles
- cette dépendance facilite de nouveaux flux financiers illicites (FFI)
Une bataille existentielle pour toute l'Afrique
La lutte contre les flux financiers illicites n'est pas un simple enjeu technique ou comptable. C'est une bataille existentielle pour l'avenir de l'Afrique. Avec 88 milliards de dollars perdus annuellement - une somme qui pourrait transformer radicalement le continent - l'Afrique ne peut plus se permettre de subir cette hémorragie en silence.
L'affaire Bolloré et les efforts du Collectif Restitution Afrique illustrent qu'une prise de conscience est en cours. Mais pour inverser la tendance, il faudra une mobilisation sans précédent : coordination renforcée entre États africains, réforme des systèmes financiers internationaux, renforcement des capacités judiciaires et, surtout, une volonté politique déterminée à placer les intérêts de l'Afrique au cœur des politiques de développement.
Le continent dispose de multiples ressources. Il lui faut maintenant les moyens de les conserver et de les utiliser au bénéfice de ses populations. C'est le défi majeur du XXIe siècle pour l'Afrique.
Ensemble, nous pouvons mettre fin à l'impunité et construire une Afrique où la transparence et la bonne gouvernance sont la norme.